40 ans de carrière à la SNCF

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La découverte

Te rappelles-tu d’où t’es venu cette vocation pour ce métier de cheminot ?

A la fin des années 60, mon père associé avec ses 2 frères et leur père se trouvent à l’étroit dans l’usine de ferronnerie d’ art, qu’ils dirigent au lieu dit Visance (Chanu Orne 61) près de Flers à l’ époque région Basse Normandie . Ils décident de déménager. Ils trouvent un terrain à vendre afin de construire une nouvelle usine, en bordure de la nationale 10 à Dangé (Vienne 86) à 15 km, au nord de Châtellerault . Enthousiasmes, tes parents , Marie Louise et Georges, sont parmi les premiers à les suivre dans l’ aventure . En parallèle , tout proche de la nationale, se trouve la double voie ferrée magistrale. Il s’agit de la radiale Paris Austerlitz-Bordeaux St Jean, Hendaye, Irun, irriguant tout le Sud Ouest jusqu’ à la frontière Espagnole. Mais ça, je ne le sais pas encore.
On aperçoit cette usine à droite derrière le poteau caténaire.

En quoi ce changement de région aura influencé ta future vie professionnelle ?

Le samedi 10 avril 1971, j’arrive en … voiture avec mon père à Dangé . J’approche de mes 11 ans . L’usine est vide et je m’ennuie pendant que mon père vérifie que tout soit prêt. Les premières machines-outils et diverses enclumes doivent arriver le lundi par …camions de Chanu.
Dans le hangar-usine , je m’ennuie, alors je sors . A ma grande stupéfaction , surgit un train chargé de produits finis . La puissance de la locomotive tirant peut être 30 wagons me surprend . Je vois défiler en quelques secondes de belles moissonneuses batteuses vertes marque Claas . Des porte-autos, des wagons citernes de gaz , et que sais-je encore ! Le train de marchandises (On dit FRET aujourd’hui) est déjà parti. J’attends le suivant. Ma passion est née .

Tu avais déjà eu l’occasion de prendre le train ?

J’avais bien pris quelquefois le train avec ma grand-mère entre Flers et Briouze . Voyageant avec délectation à bord d’un beau Picasso rouge et crème, le kiosque du poste de conduite, excentré, sur le côté, en partie haute, permettait de dégager à une extrémité, depuis la salle voyageurs , un panorama ferroviaire extraordinaire. Voir défiler le paysage, non sur les côtés mais en pleine face, voir la voie qui défile, sous vos pieds, à 120 km/h . Quel délice ! Le premier autorail unifié 300 chevaux sort de l’ usine Renault Billancourt en août 1950. Le parc atteint 251 unités . Il en reste une quarantaine rachetée et préservée par des chemins de fer touristiques . Je vous invite à monter à bord !
X 4039 ABFC - Argentan - 13/09/2020
X 4039 ABFC – Argentan – 13/09/2020

40 ans tout rond

1980-2020 : 40 ans au service de la SNCF. Peux-tu résumer ces années en quelques lignes.

Ai-je un jour seulement travaillé à la SNCF ? Toute autre EF aurait fait l’affaire mais en 1980, point! Ce fut un tourbillon de bonheur. Le mouvement des trains, l’adrénaline de la vitesse, la puissance des locs, des motrices. Les croisements en ligne, le mouvement des voyageurs sur les quais , les magnifiques verrières de La Rochelle, Bordeaux, les paraboles des voies… L’ invitation au voyage . Les convois  lourds et longs de FRET, les circulations TGV sur du 1 m 435 (largeur d’ une voie) à 320 km/h. Je reste troublé, submergé! L’ absence de routine, pas un seul voyage identique. Le voyage entre 2 butoirs de PMP (Montparnasse) à Brest, Toulouse, Arcachon ou Granville me fascine. Les découchés, 8 en moyenne par mois, éloignent de la maison, 24 heures minimum à plus de 30 heures parfois. Le plus difficile, sans aucun doute, partir à midi le jour de Noël alors que toute ta famille s’apprête à passer à table.

Je crois que quelques lignes ne suffiront pas 🙂 . Donc, ensuite ?

Au fil des années, la direction TGV change de nom, de GL (Grandes Lignes) nous passons VFE ( voyages France Europe) puis SNCF Voyages puis actuellement Voyages SNCF. Je préfère GL, l’entité évoque les longues courses.
Se battre pour faire l’heure, se battre contre la hiérarchie comme en 1986 pour l’amélioration des foyers. Ils datent de la dernière guerre. Il faut transporter son drap sac, et en arrivant, faire son lit de 90. La toilette se fait en commun, la douche, les WC sont dans un lieu unique, dormir, même quelques heures est une chance. Or, Il y a de plus en plus de femmes au contrôle. Aujourd’hui, toutes les chambres sont équipées de tout le confort comme à l’ hôtel. Voilà pourquoi les conflits sont nombreux dans l’ entreprise. Il y a trop de décalage, depuis toujours, entre les bureaux et le terrain,  même si (me semble t-il) nous sommes mieux écoutés aujourd’hui. Il me semble avoir souffert tout au long de ma carrière sur ces sujets.

Tu proposes une amélioration ! Quelques années, plus tard, la direction sort le projet, modifié, de façon à ce qu’ il ne t’appartienne pas. Mais est ce le fait des seules grandes entreprises? Même si j’ ai roulé toute ma carrière, je suis considéré comme…sédentaire. Malgré tout, comme nous sommes mieux payés ( primes découchés), la jalousie des agents des gares se ressent parfois. Seul, les conducteurs sont considérés comme roulants. La direction leur octroyant une prime kilométrique ou un forfait pour les tgvistes (jusqu’ à 1500 km/jour). Je confirme, la prime charbon n’existe plus depuis l’extinction de la vapeur. En cas de soucis, l’ aide des collègues, est précieuse.

On parle quand même de la grande famille des cheminots ?

L’esprit grande famille Cheminot s’est perdu. Après le service, au réfectoire du foyer, les collègues se retrouvaient, jusqu’ à tard dans la nuit, devant une bonne tablée bien arrosée (malheureusement), chacun racontant son anecdote (toujours croustillante ou dramatique en cas d’ accident (suicide…) ou d’ incident (retard de plusieurs heures suite à une panne) survenue au cours de sa tournée ou ses déboires avec son chef, refaisant le monde et surtout celui du Chemin de Fer. Un conducteur nous en apprenant toujours plus sur la sécurité ferroviaire que lors d’une journée de cours. Délicieux. Aujourd’hui, tout ça à quasi disparu et chacun se retranche devant sa gamelle, son hamburger et son coca pour les plus jeunes.

Si le TGV A en 1989 a dispatché les équipes en individuel, l’arrivée du DUPLEX, aux débuts des années 2000 a permis de recréer (2 agents à bord en roulement) au moins, un duo d’ agents au foyer.
TGV EuroDuplex 4703 - Ingrandes sur Vienne - 05/08/2014
TGV EuroDuplex 4703 – Ingrandes sur Vienne – 05/08/2014 – Train 5202/5450 – Lille/Strasbourg-Bordeaux

Métier difficile

Ton métier est quand même difficile, non ?

Au début des années 2010, la décision tombe. La gestion par activités TER/Intercités, TGV, FRET est une réalité. Fini le découché Granville un fois par mois. Je passe au roulement 100 % TGV. Les prises de service différentes chaque jour (4 h 16, 12 h 08, 18 h 28, 21 h 35…) fatigue les corps. Et malheur à celui qui se loupe à sa PS. La demande d’ explications tombe.
La chance du métier, une indépendance totale, savoureuse. Ton chef est censé t’accompagner 4 fois par an , 1 fois par trimestre ! En fait, en fonction des tableaux de service, ça tombe souvent à 2 accompagnements annuels.
Le 01/01/2020, la SNCF passe en SA (Société Anonyme) le statut cheminot disparait. L’arrivée imminente de la concurrence ( début pour la grande vitesse prévu en décembre 2020 , reporté à cause de la Covid 19) ajoute, aux agents, depuis quelques années, une pression supplémentaire afin que le service soit désormais irréprochable. Mais l’ obsession perpétuelle de la sécurité est oppressante. Je le reconnais. C’est certainement la principale raison pour laquelle les cheminots roulants (conducteurs, ASCT “chefs de bord”) aspirent à une retraite précoce bien méritée.