Qu’elle a été ta carrière au sein de la SNCF ?
La première convocation…
Le 14 avril 1980 à 6 h 40 précises (C’est bien le chemin de fer et pourquoi si tôt ?) je suis convoqué au Centre d’Embauchage de Paris Ouest (CEPO) de Levallois Perret . Dans la matinée, un psychologue me pose la question suivante : préférez-vous être commis voyageur (aujourd’hui vendeur) ou bien contrôleur ? Je viens de passer, juste avant, avec plus ou moins de succès, un test abominable, en tout cas pour moi. Celui du plateau tournant, je ne suis pas certain que ce soit le nom exact. Il tourne à vitesse modérée, des lignes circulaires y sont dessinées. Au-dessus, se trouve un poinçon désaxé, relié à 2 manivelles. Lorsque le plateau tourne, vous devez vous synchroniser à l’aide des manivelles, une de chaque côté du plateau, de façon à ce que le poinçon ne sorte jamais des lignes que vous a fixé l’examinateur ! Et si le poinçon sort, ça sonne. Une torture. Je lui réponds que je préfère le voyage, le mouvement, les distances, la vitesse des trains, l’ambiance des gares … A ma grande surprise, il me demande de me rendre, à une heure bien précise, 10 h 30, au dépôt de La Chapelle situé au nord de Paris. Pourquoi ? Pour en revenir aussitôt. Là-bas, quelqu’un me dit que tout va bien et que je peux retourner au CEPO. J’ai le sentiment que le psy me teste, pour savoir si je suis capable de me rendre tout seul et rapidement à l’endroit indiqué. Une visite médicale et puis rien d’autre.
La formation …
Quelques jours plus tard, je reçois une lettre du CEPO. Il est écrit : J’ai le plaisir de vous informer que vous êtes embauché au cadre permanent. Merci de vous présenter, le 05 mai 1980 à 9 h 00 au 13 rue d’Amsterdam 75008 Paris St Lazare.
Ce jour-là, nous sommes 6 jeunes à l’embauche, 5 viennent de province, le 6ème de l’Ile de France, Mantes La Jolie. Curieusement, je suis embauché au grade Agent d’Exploitation BUreau (AEBU) “Trains” essai niveau 01 indice C échelon 0, normal puisque ce dernier correspond à l’ancienneté. Affecté à la gare de la Garenne-Bezons, détaché au service des trains. Mon numéro de CP (Caisse de Prévoyance), le fameux numéro lié au statut, sera pour toujours, carrière et …retraite comprise le : 60 04 . . . G , 60 pour l’ année de naissance, pour les 5 autres numéros et la lettre G, je ne sais toujours pas, à quoi ils correspondent. L’après-midi, notre formateur principal, je ne sais pas si c’est de sa propre initiative ou pas, nous propose une balade dans Paris (Invalides, Champs Elysées…) afin de nous familiariser avec la capitale. Etonnant ! Nous sommes 252 000 cheminots. Je me souviens de ce chiffre par le 2.5.2 facile à retenir.
L’angoisse du premier jour …
Le lendemain matin, 8h30, c’est le début des cours dans quelques minutes. Je me retrouve sur l’immense quai transversal gare Paris St Lazare, à l’heure de pointe. 1000 voyageurs se croisent chaque minute. Je suis comme happé, étourdi, englouti par cette masse de personnes. Chaque jour, 1500 trains partent et arrivent, 450 000 personnes s’y croisent. Un balai incessant, bien rodé, sans failles, l’heure c’est l’heure. Au triage d’Achères, après la pointe du soir, les agents de manœuvre procèdent à la coupe des BB 17000 (elles viennent de tirer leurs révérences en cette fin d’année 2020 après 55 ans de bons et loyaux services et je ne suis jamais tombé en panne avec l’une d’elle), de leurs rames banlieue et les attellent sur des rames FRET à destination du port du Havre. Le matin se répète le même scénario en sens inverse.
Les surprises de la formation …
C’est le retour à l’école, au 6ème étage, du côté rue de Rome, dans une salle de cours mansardée, loin du bruit. Il faut apprendre toute la réglementation, la sécurité, le matériel (les différentes rames banlieues), les tarifs et enfin les règles de régularisations. Au bout de 2 semaines, comme je suis moyennement doué pour les études. J’ai l’impression que ça va trop vite pour moi. Connaître le Chemin de Fer c’est bien mais apprendre par cœur les règlements, c’est une autre histoire. Alors, je demande à un collègue de ma session qui me semble toucher sa bille, s’il veut bien réviser le soir avec moi. Dans un grand éclat de rire, il me dit : non ! Je m’étonne. Il m’explique, qu’il est religieux et ce qui l’intéresse le plus au monde, ce sont les églises et s’il a postulé à la SNCF, c’est pour profiter d’un logement pas cher et pouvoir visiter le maximum d’églises à Paris. Mais le psy ? Il faut savoir broder, tout simplement, me dit-il. Je n’en reviens pas. Effectivement, 2 mois, après, il démissionne. Fin mai, un autre collègue, 2 après midi durant, sans prévenir, ne se présente pas aux cours. Le matin, il évoque être malade. Et le matin du troisième jour, notre formateur le menace de licenciement. Il finit par expliquer qu’il adore le tennis et qu’il se rend l’après-midi à… Roland Garros. Je suis désabusé, estomaqué. Prendre la place à d’autres qui attendent une embauche ! Comment est-ce possible ?
5 mois plus tard, le 06 octobre 80, je suis reçu à l’examen d’ATVST (Agent Trains Voyageurs STagiaire) J’accompagne au départ de Paris St Lazare, les trains banlieue jusqu’ à Mantes La Jolie (57 km), Cormeilles En Parisis… Enfin, je suis habilité au départ, à l’accompagnement des trains, à la confection des billets, au contrôle des titres de transport, à l’assistance éventuelle du conducteur …
Le premier roulement …
Sur Versailles rive droite, La Défense, St Cloud, St Nom La Bretèche viennent d’être mises en service (75 rames à partir de 1978), les magnifiques Z 6400 à agent seul (elles viennent de quitter la scène, pour les dernières, ce 4 novembre 2020 … Tiens, presque en même temps que moi !) Elles se substituent aux vieilles rames standard 750 volts, alimentation par 3ème rail latéral.
Le 7, je prends le roulement chef de train, composé de plusieurs dizaines de lignes. La commande m’a donné un numéro de ligne. Je n’ai plus qu’à dérouler les journées de travail et les journées de repos à partir de cette première ligne (Ex Mercredi : journée 135, Jeudi : 120, Vendredi : 121, Samedi : 101, Dimanche : 102, Lundi : R, Mardi : R). Sur chaque ligne sont indiqués les numéros de trains à accompagner dans la journée ainsi que les horaires de chaque train origine destination. Les arrêts intermédiaires ne sont pas indiqués. Les journées qui se suivent ex : 101 102 indiquent, un découché, au foyer, par exemple, de Mantes La Jolie.
C’est le grand jour …
Ma première tournée est une journée simple. 5 A/R Cormeilles En Parisis. Ce jour-là, j’arrive très tôt à la commande. Je suis nerveux. Devant la glace estampillée… SNCF, je mets une demi-heure à faire mon nœud de cravate. Je répète, ne pas oublier, fermeture des portes d’accès, transmission du fameux ding-ding au conducteur, à l’aide de la clé monocoup. C’est le départ, à l’heure ! A la première gare d’arrêt de Bois Colombes, un voyageur vient me prévenir. Une altercation est en cours dans la voiture précédente. Un homme fume dans une voiture non-fumeurs. Suis-je capable d’agir ? Je n’ai pas vraiment été formé à ce type d’intervention. La magie de l’uniforme (costume, casquette) me permet, en quelques secondes, de résoudre l’incident. Je suis, il faut bien le dire, assez bluffé. Pour mon premier train à mon compte, comme on dit, c’est incroyable. Je suis sur les traces de Jean Gabin, qui joue le mécanicien, dans le magnifique film “La bête humaine” tourné à bord de La Lison sur Paris Le Havre, une Pacific Etat, la locomotive 231.592DD, la 231 G 592 pour la SNCF. Le 28 février 1967, la 141 TD 119 de Mantes et plusieurs vaporistes, alors que sonne l’heure de leur retraite, assurent la dernière arrivée vapeur à Paris St Lazare. Le lendemain, les rutilantes, 17000, locomotives électriques neuves prennent la relève. Nostalgie !
Banlieue et grandes lignes …
J ‘ effectue des Paris- Cormeilles En Parisis en automotrice Z 6300, des Paris Mantes La Jolie en RIB (Rames Inox Banlieue) à 57 km de Paris . A la fin de l’année 80, mon chef direct, me propose, déjà, de m’inscrire à l’examen de KRUST (contrôleur STagiaire) permettant d’accéder aux grandes lignes. En partant de St Lazare, le trajet le plus long est le Paris Cherbourg : 371 km. Nouveaux cours liés à la GL, nouvel examen. Le 30 juin 1981, je suis reçu contrôleur stagiaire pour 2 ans. Je me retrouve en réserve mixte banlieue/grandes lignes. C’est le début d’une grande aventure. Désormais, j’accompagne à 160 km/h, principalement, les week-ends, les trains sont plus nombreux, les confortables turbotrains RTG robe orange sur Paris-Caen-Cherbourg ou Trouville-Deauville. Les toutes nouvelles rames CORAIL (COnfort sur RAIL) sur Rouen-Le Havre, Dieppe. 2 ans plus tard, le 1 er juillet 1983, je passe automatiquement contrôleur de route. Grade : KRU.
L’arrivée du TGV …
Le dimanche 27 septembre 1981, est un grand jour. Essayez de vous rappeler avant de lire la suite. Ca y est, vous y êtes. Non ! Dans l’après-midi, je suis évidemment à… Paris gare de Lyon. Vous ne voyez toujours pas ! J’assiste non sans un frisson, non sans fierté, à l’arrivée, en service commercial, des premières rames orange TGV Sud Est en provenance de Lyon. Vitesse de croisière : 260 km/h ! Ce jour-là, Lyon n’est plus qu’à 2 h 40 de Paris, seul le tronçon Vergigny Sathonay est ouvert. Le 02 septembre 82, passage de la vitesse à 270 km/h. Et le 25 septembre 83, le temps de trajet tombe à 2 heures après l’ouverture du tronçon nord Lieusaint Vergigny. Puis le 10 juin 2001, la vitesse passe à 300 km/h sur la LGV Sud-Est. Enfin le meilleur temps de trajet Paris Lyon Part Dieu tombe à 1 h 55. Je suis certain de vivre, ce jour-là, un jour historique, qui ne me démentira pas. C’est le départ d’une nouvelle aventure Ferroviaire.
Des détachements en province.
Les étés 82/83/84, je suis détaché à Nantes. Il y a un moindre besoin à St Lazare. Par contre, sur la côte Alantique, de nombreux trains supplémentaires, remplis de vacanciers, circulent à destination de St Gilles Croix De Vie, Pornic, Les Sables D’Olonne, Quiberon… En 84, j’accompagne le Jules Verne, TEE voitures rouge grand confort au crochet d’une 72000 abattant, sans arrêt, le trajet Paris Nantes en 3 heures. Inoubliable ! L’option locomotive diesel est une évidence. Il faut savoir que le changement de locomotive au Mans coûte 7 mn. En effet, la ligne n’est pas encore sous caténaires entre Le Mans et Nantes.
La SNCF devient EPIC
Le 25 janvier 83, grand événement à Paris St Lazare, François Mitterrand, président de la république inaugure la nouvelle SNCF. Elle devient EPIC (Etablissement Public Industriel et Commercial). C’est le balbutiement du marketing. Il faut vendre, vendre sans oublier, bien entendu, de régulariser les fraudeurs. En 1987, c’est le lancement des cartes commerciales, Kiwi (La fameuse, rappelez-vous la pub TV), Vermeil, Carrissimo, carte Week-End qui deviendront cartes Enfant +, Senior, 12-25, Escapades et qui sont aujourd’hui déclinées cartes Avantage. Alors, la direction demande, désormais, à ses ASCT de vendre des cartes à bord. La nouvelle stratégie c’est : Démarcher, fidéliser, choyer nos clients. C’est avec enthousiasme, que j’aborde ce nouveau rôle au détriment, évidemment, des vendeurs. Pour eux, c’est la fermeture à terme des guichets. Aujourd’hui, c’est malheureusement vrai, mais surtout, à cause d’internet. Et ça marche. Nous vendons de très nombreuses cartes à bord mais aussi, comme mes collègues, je prescris. Donc, nous sommes bien complémentaires entre les 2 services. Les personnels à bord deviennent des agents commerciaux et la clientèle s’en aperçoit. La SNCF évolue dans la bonne direction.
Mi-septembre 84, je rencontre, ma future femme, Patricia. Le lendemain, sur le turbo Paris Caen, je contrôle ou plutôt je ne contrôle plus rien. Tous les titres de transport sont valables ce jour-là. J’espère qu’il y a prescription.
Mars 87, je reçois, une gratification exceptionnelle de 130 francs pour des opérations de dégivrage des portes d’accès des rames banlieue. Un froid glacial au mois de janvier, perturbe fortement le trafic. Tiens, au fait qui a dit que nous n’étions pas polyvalents ?
Tu ne pouvais pas manquer l’arrivée du TGV à l’Ouest ?
Arrivée du TGV Atlantique
Je suis désormais en EA (Equipe d’Assistance). Ces équipes de 2 ou 3 agents viennent renforcer le titulaire (le responsable du train) au contrôle. Mais voici que pointe l’arrivée du TGV à Paris Montparnasse. Je fais une demande de mutation, accordée 2 ans plus tard.
Septembre 89, je suis muté à Paris Montparnasse. Juste à temps pour assister au Mans au grand show du lancement du TGV A (Atlantique). Le 24/09/89 c’est la mise en service commercial de la branche ouest Paris Le Mans. 1 an plus tard, c’est l’ouverture de la branche sud-ouest de la bifurcation Courtalain, km 132 de la LGV A jusqu’à Tours. Une nouvelle saga ferroviaire s’écrit sous mes yeux et je veux en faire partie. Quelle joie de travailler à bord de ces magnifiques rames TGV A. Une réussite technique et commerciale. A moi, les longues distances, Quimper, Brest, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Tarbes, Hendaye. A 300 km/h, les distances raccourcissent à grande vitesse. Les clients sont conquis. Le Paris Tours s’effectue en 1 h 00 au lieu de 2, le Paris Bordeaux en 2 h 58 (passage à Dangé à 200 km/h) au lieu de 3 h 50 pour le meilleur temps, avec le TEE Aquitaine et sa CC 6500. Une révolution !
Le 01/10/89, je suis affecté au service des trains de Paris Rive Gauche de l’établissement commercial trains de l’unité de gestion de Paris Montparnasse. Pas simple l’intitulé.
La carrière continue d’évoluer …
Le 01/10/90, j’avance en grade à l’activité “Grandes Lignes”, je passe ACTP (Agent Commercial de Trains Principal) à CBOR (Chef de BORd). C’est, d’ailleurs, souvent l’occasion du déclenchement d’une grève ou d’une jalousie entre collègues. La question est chaque début d’année la même. Pourquoi tu avances plus vite que moi alors que je travaille autant que toi ? Enfin, certains le pensent. Il suffit que tu loupes 1 ou 2 fois par an, même parfois de 5 mn, ta PS (Prise de Service) ou que tu sois un peu mou du contrôle pour que ton chef d’UO te bloque et ceci jusqu’ à 14 ans possible sur un même grade. Et comme il s’agit d’un petit pourcentage par grade. Il faut choisir. L’effet pervers de ce système, c’est la démotivation totale de certains. L’ancienneté compte aussi mais désormais, dans une moindre mesure.
Le 01/11/97, nouveau changement de grade, la direction recherche des CBORM (Chef de BORd Moniteur) afin d’encadrer les équipes de contrôle banlieue. Elles opèrent sur Paris Montparnasse, Versailles Chantiers, Plaisir Grignon, Rambouillet. Des collègues prioritaires en fonction du grade, refusent l’offre. Je passe ” petite maîtrise”.
Je dis oui. Par un concours de circonstances inexpliqué, impossible d’obtenir un ex local conducteurs à Rambouillet…Je me retrouve en résidence Chartres, secteur TER Paris Chartres. C’est finalement mieux pour moi. Je reste dans l’esprit clients grandes lignes. Cette mutation me permet, je l’avoue, d’avancer plus rapidement en grade.
Quelques années, plus tard, je m’ennuie. Début 2003, je fais ma lettre afin de remonter sur TGV. Demande acceptée par l’UO (Unité Opérationnelle) TGV. Le 01 juin 2003, je retrouve le roulement TGV.
Toujours plus loin en LGV …
Le 01/04/2015, je suis quasi au taquet en position de rémunération, en tout cas en ce qui concerne les ASCT. La grille de rémunération va jusqu’ à …H (cadre) au-delà vous êtes hors cadre. Je passe qualification : D, niveau : 02, de la position 18 à la position 19, échelon : 10 (ancienneté maxi). Quasi, parce que le 01/04/2020, je prends un complément de rémunération communément appelé 19 +. Oui, Il faut juste 5 ans pour l’obtenir, à la discrétion, tout de même, de ton chef direct.
Le 02/07/2017, commence une nouvelle aventure ferroviaire. C’est l’ouverture commerciale en même temps, une gageure énorme, des 2 LGV BPL (Bretagne Pays de Loire) Le Mans Rennes et la SEA (Sud Europe Atlantique) Tours Bordeaux. Le chantier le plus important d’Europe entre 2010 à 2017 se termine. Rennes est à 1 h 25 de Paris. Bordeaux à …2 h 04. En tirant au maxi, 1 h58. Incroyable !
Et la retraite s’annonce
Le 17/03/2020 midi, c’est le début du confinement sur toute la France, dû à la pandémie de la Covid 19. Le trafic TGV tombe…à 7 %. Le 03/04, à Massy TGV, Je relève mon collègue Strasbourgeois sur un TGV Médicalisé en provenance de Strasbourg à destination de Bordeaux Saint Jean. L’épidémie redouble (mais là, je crois que vous connaissez). Les hôpitaux sont surchargés. Il faut évacuer les malades sur d’autres régions moins impactées. Ce 03 avril, je remonte à Paris en W (Voyageur à Vide), pour la dernière fois en service. Nostalgie assurée. A L’arrivée, au butoir de la gare de Paris Vaugirard, je tire ma révérence. Il est 22 h 14.
Le 05 MAI 2020, mon premier jour de retraite.