Tu as pratiqué ton métier avec passion. Si je ne me trompe pas, tu as fais nombres de propositions pour améliorer le quotidien des agents. Peux-tu nous en rappeler quelques unes (acceptées ou non) ?
On pense au quotidien des clients
Peut-être plus encore le quotidien des clients. Au début des années 2000, je me rends à une journée multiservices organisée à Chartres. Le cahier de liaison de la gare d’Epernon (ligne Paris Brest via Chartres) est rempli de plaintes de clients. Ils se retrouvent régulièrement, dans le sens Paris Province, à descendre sur le ballast, après le quai. Il y a là, un chef mécanicien, chef des conducteurs. Je lui en parle. Il nie. En fait, pour qu’un conducteur puisse repérer une gare, une pancarte est implantée, généralement à demeure, à 1000 mètres, en amont, de celle-ci, en bordure de voie. Il me rétorque qu’un TIV 70 est implanté bien avant la gare et qu’il sert de repaire aux conducteurs pour le début du freinage. Le TIV (Tableau Indicateur de Vitesse) impose au conducteur, lorsqu’il est en position ouvert (pour celui-ci 70) de réduire sa vitesse à 70 km/h car son train va être dirigé sur la voie 1 bis en sortie de la gare d’Epernon. Avant de partir, je lui propose de consulter le cahier de liaison et de ne pas attendre la blessure éventuelle d’un voyageur.
Quelques mois plus tard, qu’elle ne fut pas ma surprise de constater, depuis le train, qu’une pancarte fixe » EPERNON à 1000 mètres » avait été implanté. Une grande fierté pour moi.
Les futurs TGV
TGV M, c’est le code du projet de la nouvelle rame Avelia Horizon. M comme Modernité, Maîtrise de l’énergie, Mutualisation, Modularité, Mobilité et Meilleur. En 2018, je crois, la direction du matériel demande aux agents, pour une fois, de faire remonter leurs idées afin d’améliorer la technique, le confort… J’en profite. Je propose, qu’une demie-remorque soit dédiée au transport des fauteuils roulants pour les personnes en situation de handicap, des poussettes pour les familles, des vélos, des gros instruments de musique…, que sur cette remorque, une porte d’accès spécifique, large, sans marchepied, sans utilisation d’une rampe, à la hauteur des quais, soit installée, de façon à ce qu’une personne en situation de handicap, puisse en toute autonomie monter à bord. Qu’un TGV en cas de panne électrique caténaires puisse se dégager et repartir (Souvenir de plusieurs pannes électriques catastrophiques de 48 heures à PMP…) Que le confort des sièges première classe soient plus confortables. En tout cas, une plus grande différence entre la première et la seconde. Je viens d’apprendre, avec bonheur, qu’il sera possible à une personne en situation de handicap d’accéder en toute autonomie au TGV. Que des batteries, permettront au train, en cas de panne électrique, en toute autonomie, de pouvoir parcourir… 30 kilomètres. Bon, ce n’est pas uniquement grâce à moi. J’en suis conscient. Que de retards, que de souffrances évitées. Mise en service des nouvelles rames, à partir de juin 2024.
Pas de prises d’initiatives
Un dimanche à Argentan. Après avoir dormi, dans une chambre immense du foyer ou l’on peut encore voir l’emplacement du deuxième lit de l’équipe de conduite d’une locomotive vapeur. Oui, je vous l’assure, c’est impressionnant. Je m’apprête à relever le collègue de la résidence d’Argentan. Avant l’arrivée de l’Intercités assuré UM2 X72500, en provenance de Paris Vaugirard et à destination de Granville, le chef de service m’informe qu’un arbre est tombé sur la voie du côté de Briouze. L’astreinte est avisée. Prévoir 30 mn de retard. A l’aide de la sono, j’informe mes clients. Comme souvent, le retard est minimisé. J’annonce que notre train sera retenu au moins 1 heure. C’est finalement avec… 1 h 30 que nous pourrons repartir ! En cours de route, le conducteur m’apprend, effaré, qu’il s’agissait d’un tronc de la valeur d’un poing. Il fait beau. La ligne n’est pas électrifiée. A priori pas de risques. Il suffisait juste de donner le PK au conducteur. De s’arrêter avant le tronc, avec mon aide éventuelle, de dégager l’arbre sur le talus. Prendre maximum 15 mn et optimisant la vitesse peut-être faire l’heure à Granville pour le plus grand bonheur de nos clients.
Le gros souci, du système guidé, c’est évidemment celui de ne pas pouvoir contourner un obstacle, si petit soit-il. Dans mon rapport obligatoire pour tout retard, j’explique le dégagement de l’arbre possible par l’équipe du train. Quelques jours plus tard, mon chef, décline. Imagine que toi ou ton conducteur se blesse. Sans compter les blessures, qui assure le train jusqu’ à Granville ? Et qui fait (prévu dans la foulée) le train du retour ? Que dire ?
Le coup de la panne
Un Paris-La Rochelle, un petit problème, UM DUPLEX (double rame à 2 niveaux) titulaire sur la rame de tête. Sortie de la LGV SEA (Sud Europe Atlantique) C’est bien à l’heure que nous nous présentons à l’entrée de la gare de Poitiers. Le carré fermé, 2 feux rouges sur une ligne verticale ou horizontale, commande au conducteur l’arrêt obligatoire avant le signal.
Nous sommes en pleine voie. J’annonce à la sono » notre train vient de s’arrêter en pleine voie, pour votre sécurité, vous êtes priés de rester dans les voitures et de ne pas tenter d’ouvrir les portes ». A l’interphonie, le conducteur m’informe : « Train de FRET en panne à Poitiers. Actuellement, pas de délai pour son dégagement. «
J’annonce à nos clients : Mme, M. un train de fret nous précédent est en panne à Poitiers. Son conducteur s’emploie à dépanner sa locomotive le plus vite possible. Je reviens vous voir dès que j’ai de plus amples informations. Je brode un peu, dans ces cas, il faut de toute façon, prendre la parole, au maximum, dans les 10 mn après arrêt, la descente de voyageurs sur la voie, serait dramatique. Sur la voie 2 ça roule. 15 mn, et miracle, nous repartons. Desserte de Poitiers. 15 mn, j’estime qu’en optimisant, nous serons quasi à l’heure à La Rochelle. Tout va bien, je respire.
Arrêt court, coups de sifflets, fermeture des portes. Le bip sonore retentit à nouveau sur la plateforme du duplex. Le conducteur me rappelle. Il m’annonce : Je ne peux pas repartir, avertisseur en panne, j’applique le guide de dépannage. J’annonce, avec amertume, que maintenant c’est notre TGV…qui est en panne. A L’interphonie, le conducteur me dit qu’il n’a pas de solution. En cas de panne avertisseur, la vitesse est limitée…à 30 km/h. Il faut pouvoir avertir, par exemple, des agents travaillant sur la voie. De Poitiers à La Rochelle, il y a 140 km. Le calcul est vite fait. Il me dit qu’il attend que le régulateur le rappelle. Dans ce cas-là, on se sent très seul. Mais, comment est-ce possible ? En fait, avant départ, après un arrêt en pleine voie, un conducteur doit, avant sa remise en marche, actionner l’avertisseur. Et sans cet arrêt en pleine voie, le conducteur ne se serait aperçu de rien. A ce moment-là, je maudis les trains de FRET.
Le COS A (Centre Opérationnel et des Services Atlantique) basé à Paris et qui gère les circulations, nous explique, par chance, qu’une rame duplex, est disponible sur voie de garage à Poitiers. Je propose, afin d’éviter une nouvelle galère à nos clients, de transborder les clients de la rame de tête sur la rame arrière. Sur les 950 clients, 300 sont descendus à Poitiers. Une rame DUPLEX offre 554 places. Bon, ce sera un peu difficile jusqu’ à Niort. Réponse négative. La rame arrière à …un souci technique. Elle ne peut pas être menante. Quand ça ne veut pas.
C’est parti, transbordement des clients, coupe des 2 rames, évolution de la rame de tête sur voie de garage, dégarage de la rame valide. Tiens c’est l’heure de pointe. Il faut couper tout le faisceau de voies. Et les trains, à l’heure, se succèdent. Nouvelle attente. Sur le quai, les clients s’impatientent, il fait très chaud, les agents de la gare distribuent des petites bouteilles d’eau. Enfin, l’accroche, la remontée des clients, un nouvel essai de frein, 1 h 30 de retard au départ. Dans mon rapport, j’ai proposé de doubler les avertisseurs. Je n’ai pas reçu de réponse.
La sécurité n’a pas de prix
Ces exemples, permettent de comprendre, qu’à la SNCF, la sécurité n’a pas de prix. Même si, bien entendu, elle peut nous coûter très cher en ponctualité, en termes de qualité de service, d’efficacité. De gros retards, pour de si petits pépins, oui, l’entreprise doit encore faire des efforts.
En 40 ans de carrière, tu as du connaitre quelques situations cocasses, ou difficiles qui t’ont marqué. Peux-tu nous en raconter quelques unes ?
Le drame…
Ce jour-là, le conducteur, ressent près de Saint Lazare, un choc anormal. La procédure, dans ces cas-là, est l’arrêt d’urgence du train, de basculer les feux blancs en mode clignotants et de lancer l’alerte radio. Elle consiste à alerter les autres conducteurs circulant dans la même zone. Ils doivent alors immédiatement s’arrêter. Curieusement, sans demander la protection au régulateur, il descend de sa cabine de conduite. Quelques instants plus tard, il est heurté par un train croiseur. A PSL C’est l’arrêt des circulations, la consternation. Ce jour-là, je comprends toute l’importance de ma formation de la sécurité ferroviaire.
Aux commandes…
Un jour, je suis commandé ferme par la commande du service des trains de PSL: Aide au conducteur de PSL au Havre, motif » Panne VACMA sur 16000 » . Le règlement est formel. Pour, des raisons de sécurité (Discussion, par exemple, avec le conducteur, donc absence éventuelle de vigilance), il est interdit à l’ASCT de se tenir en cabine de conduite sauf justement, en cas de panne VACMA (Veille Automatique à Contrôle du Maintien d’Appui). C’est le système appelé communément « l’homme mort ». En fait, pour prouver à la locomotive, que le conducteur est bien vivant, celui-ci doit manipuler avec la main, toutes les 30 à 50 secondes environ, variable selon les engins, un cerclo, soit relâcher au pied, une pédale sinon, c’est l’arrêt du train. Le système est en panne et c’est la seule loc disponible sur site. Une aubaine pour moi. Avant départ, je me présente sur le quai. J’ai 23 ans. C’est le rapide du soir à supplément le R 135. départ: 18 h 31 arrivée: 20 h 30 . Temps alloué: 1 h 59, une belle course! Le conducteur me parait loufoque, âgé, buriné. Il a pourtant moins de 50 ans puisque à l’époque le départ à la retraite des conducteurs est obligatoire à …50 ans. Nous partons à l’heure. C’est rapidement la Banlieue. Dans la ligne droite de Maisons Laffitte, nous roulons à 90 km/h. Le conducteur m’annonce qu’il a un souci technique, en cabine arrière. C’est le rapide du soir, 1 seul arrêt Rouen Rive Droite. Voitures CORAIL, 9 caisses, au moins 700 voyageurs dont de nombreux abonnés navetteurs porteurs d’un titre 1 (aujourd’hui abonnement FORFAIT). Il me dit: regarde bien, dans l’alignement, tu vois, tu as 3 cantons, les 3 signaux d’entrées sont au vert. Alors, si tu en as un qui passe au rouge, tu donnes un coup de poing sur le bouton urg. Dans toutes les cabines de conduite, un gros bouton rouge en forme de champignon, permet de taper l’urgence, d’arrêter rapidement un train en cas de danger. Je n’ai pas le temps de dire ouf, qu’il est déjà parti dans la coursive de la loc. Je répète, les yeux écarquillés, le poing sur le bouton urg, vert, vert, il me faut du vert. Peut-être 20 secondes plus tard, le voici revenu au manche. Je suis sidéré. Le trajet se déroulera ensuite sans accrocs, la loc donne toute sa puissance, toute sa force, sans un mot du conducteur, arrivée au butoir de la gare du Havre, bien entendu, à l’heure. Inoubliable !
Rencontre avec un chef de dépôt
Paris Caen sur Turbotrain, lors du contrôle, je tombe sur un copain d’une de mes tantes. Il me demande s’il serait possible de faire un tour en cabine. Je rappelle que l’ASCT à interdiction absolue de se tenir en cabine. Comme je n’ai pas vu le conducteur avant départ. Pour ne pas surprendre le conducteur, je me rends seul en cabine. Surprise, ils sont 2. A gauche, au manche, un jeune, à droite, un ancien, assis sur le strapontin. Je pose la question au plus jeune alors que ça roule au trait à 160 km/h. En formation ? Ils partent, tous les 2, dans un éclat de rire à s’éclater le foie. Je pose la question: « j’ai dit une bêtise peut-être ? » « Je me présente » me dit le plus jeune, « chef de dépôt de Caen. » Je conduis de temps en temps pour ne pas perdre la main. Cette fois, blême, je me dis que j’ai le droit à un blâme avec inscription et retenue de salaire ! Qu’est ce qui t’amène ? me demande le chef de dépôt. Heu, un gars qui voudrait faire un tour en cabine. Et alors qu’est-ce que t’attends ?
Côtoyer quelques stars…
Nous quittons la gare Paris Saint Lazare, TURBOTRAIN RTG (Rame Turbine à Gaz), livrée orange, à destination de Trouville Deauville. Départ lent, typique des turbos. Avec, mon collègue, je me trouve à la porte ouverte du fourgon. Je surveille au défilé le quai. La chanteuse, Jane BIRKIN venue accompagner sans doute quelqu’un, nous lance avec son sourire et son accent Anglais inimitable, » Bonne voya-ggge les gars » Et nous à la cantonade de lui lancer : Merci Jane… Inoubliable !
Turbotrain au départ de PSL, destination Caen, j’ai comme client… Jacques Villeret. Il dort sur tout le trajet jusqu’ à Bernay, sa gare de descente. Voilà, c’est tout.
… s’apitoyer sur leur sort …
Accueil/embarquement TGV à Paris Montparnasse. L’accueil/embarquement consiste à vérifier que chaque client soit bien en possession du bon titre de transport pour voyager à bord du train prévu. Ce jour-là, je suis responsable de l’embarquement. Aujourd’hui des Unités de Passage sont installés à l’entrée des quais un peu comme dans le métro. A l’époque Il est encore manuel, soit plusieurs agents de contrôle sont alignés à l’entrée du quai soit un agent se tient à l’entrée de chaque porte d’accès TGV. Une cliente habillée tout en rouge arrive. Avez-vous deviné de qui il s’agissait ? Anne Roumanoff. Elle se présente toute affolée. Elle a raté son TGV. Le suivant part dans 3 mn. Pas le temps d’acheter un nouveau billet. Elle m’explique qu’elle à un one-woman-show à Rennes le soir même. Elle doit partir immédiatement. Je lui refuse l’accès. Elle s’agenouille, se prosterne sur le quai, les mains jointes, implore ma bonté de la laisser monter » M. le contrôleur, M. le contrôleur s’il – vous – plait » Et je craque ! Quelle bonne comédienne.
… ou supporter leur humeur.
Au départ de Paris Montparnasse, TGV destination Quimper. Lors de ma ronde de bienvenue et de sécurité, en première classe, une cliente m’invective, m’insulte presque, parce que sa place réservée est occupée. Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’un certain Gérard Depardieu que je n’avais pas reconnu sur le quai, à PMP, lors de mon accueil, est là, assis côté couloir, dans un club quatre. Il me lance, assez fort, à la volée, pour que la cliente reçoive bien le message. Je cite : » Tu ne vas quand même pas te faire emmerder par cette poufiasse ? « . Je me dis que ça commence bien. La cliente ne bronche pas. Je lui réplique qu’il ne tourne pas un film ici. Il reste, muet, imperturbable en faisant de grands gestes avec ses bras. L’air de dire, ce n’est pas le problème. Magnifique réplique gratuite. Dans la vie ou bien dans un film, c’est bien toujours le même. Je repasse 20 mn plus tard, il dort à poings fermés, il ronfle. Je suis tranquille. Peut-être moins les clients qui sont assis à ses côtés.
L’histoire qui finit bien …
Le smartphone. Au bar d’un DUPLEX en 2018. Une altercation se produit entre 2 voyageurs. L’un accuse l’autre d’avoir volé le portable de sa femme. Je calme le jeu. Je pars avec la cliente à la recherche du téléphone portable. Toilettes, plateformes…Les recherches sont vaines. J’en parle à mon jeune collègue. Il m’explique qu’il existe une application qui permet de retrouver un téléphone. Il suffit de l’activer. Ah bon ! Aussitôt dit, aussitôt fait. Le miracle opère. Le smartphone bip sous la plaque d’intercirculation entre la voiture bar et la remorque 5. Je tombe des nues. Le collègue passe sa main sous la plaque et récupère le sésame de la cliente. Je me dis alors qu’il est grand temps de raccrocher.
Que s’est-il passé ? Lorsque la cliente est passée dans l’intercirculation, une secousse de la rame s’est produite au franchissement d’un appareil de voie. De façon improbable, le smartphone est tombé, sans bruit, de la poche de la cliente sur le caoutchouc qui permet de faire la jointure entre les 2 remorques. En servant de toboggan, le caoutchouc étant incurvé en partie basse, a permis au téléphone de glisser sous la plaque. Sans l’aide de mon jeune collègue, ce sont les agents de maintenance, lors de l’opération mi-vie de la rame qui l’auraient retrouvé, dans 15 ans, peut-être.
… Pour la bague de fiançailles aussi
La bague de fiançailles. Titulaire sur TGV 8489 Paris (21 h 30) Angoulême (23 h 59). A l’arrêt à Poitiers, une cliente toute affolée, se présente. Sa bague qu’elle a laissé sur le rebord du lavabo, dans les toilettes de la voiture 17, a disparu. L’agent B (agent en deuxième) de la résidence de Bordeaux descend à Poitiers. Il m’informe, avant de rejoindre sa chambre d’hôtel qu’il a fait, justement, dans la voiture 17, un PV à un contrevenant qui va normalement à Angoulême. Par chance, la cliente aussi. Je me retrouve seul. Il faut que je fasse attention. Il est plus de 23 h 00. Dans la voiture 17, je consulte le schéma résa, il y a 4 réservations. Je dois donc retrouver 5 personnes. Pour ne pas attirer l’attention, je contrôle dans la 17 les clients porteurs d’un billet. J’arrive au contrevenant qui me dit avoir été contrôlé par mon collègue. C’est bien lui. J’en profite pour lui demander s’il n’a pas trouvé par hasard une bague. Et là miracle, d’un geste auguste et rapide, Il lève son bras droit et va puiser dans la poche gauche de sa chemise une belle bague. Est-ce que c’est la bague que vous cherchez ? Abasourdi, sans rien laissez paraître, je lui dis que je ne la connais pas mais je suppose que oui et je le remercie. A 23 H 30, pas de polémiques inutiles.
Dans la voiture suivante, je retrouve ma cliente. Elle me pose la question. Alors rien ? je ne sais pas, j’ai une bague, mais est-ce bien la vôtre ? (Tout en la sortant de ma poche). Oui c’est bien ma bague de fiançailles mais comment avez-vous fait ? Oh, un peu d’expérience et surtout beaucoup de chance. Je lui explique que le contrevenant, n’était en aucun cas obligé de sortir la bague de sa poche. Ce soir-là, en récompense, la cliente me fera 2 bises. Pas toujours facile le travail. 23 h 59 Angoulême terminus. Découché, seul, au foyer.
il y a prescription 🙂
Un matin, je suis en équipe d’assistance contrôle. Notre chef d’Unité Opérationnel de PSL, nous croise, à la commande. Vous allez où ? Caen. Tiens, j’ai envie de bouger, je vous accompagne. A l’arrivée à Caen, notre chef nous dit qu’il est content de notre boulot et qu’il nous paye, pendant la coupure, une omelette avec un petit verre de… champagne au Signal Carré, bar restaurant situé à l’époque en face de la gare de Caen. Et le retour ? Chut, les gars, j’ai dit un tout petit verre. Ah les années 80 !
Quand le matériel fait défaut
Ce jour-là, comme prévu, 40 mn avant départ, je signe ma PS en face de mon nom à la commande de Paris Montparnasse. Je consulte la note de gare. Mon train 3063 de mi-journée est prévu voie 26. Un Granville. Colonne matériel : 1 X 72500 TRICAISSE. Je m’étouffe. J’interpelle l’opératrice. 1 seule rame, un vendredi, on se moque vraiment des clients. J’y vais au bluff, je lui dis que je ne suis pas certain de partir. Et je pars (à pied) pour Vaugirard, gare de départ. Au bout de quelques minutes, je vois arriver tout le staff disponible du jour. Le responsable de la ligne Paris Granville, l’adjoint au régulateur, l’adjoint du chef de gare, mon chef direct qualification E (examen transport commercial). Ils sont très inquiets. « Tu as un problème ? » ose me lancer l’un d’eux. Oui, il me faut une UM. Pas de matériel disponible y’a de la casse, me répond le responsable de la ligne.
Et c’est l’affichage. Installation des clients, en quelques minutes, toutes les places sont occupées. Sur les Intercités Granville la réservation n’est pas obligatoire. Le groupe, prévu de 25 enfants, est absent. Une bonne nouvelle. Les dirigeants respirent. Quatre minutes avant départ, le groupe arrive. Les embouteillages à Paris, vous savez M. le contrôleur. Je fais libérer, avec difficulté, les 25 places. 2 mn avant départ, l’adjoint régulateur, alors que je m’emploie à essayer de répartir mes clients au mieux, au moins 150 clients voyageront debout, regarde sa montre. En colère interne cette fois, je ralentis le pas et met 2 mn de retard à mon train afin de manifester mon mécontentement. Le lendemain, au retour de mon découché Granville, je remercie l’opératrice, militante FO, pour son intervention auprès du staff. Hilare, elle me dit, tu vois on les a fait descendre.
Sécurité d’abord, même pour le Président !
Départ de Nantes. J’ai transmis le départ. Le TGV roule. Ma porte locale est ouverte (Aujourd’hui, c’est mieux, il est interdit qu’un train parte avec une porte ouverte). A l’époque c’est réglementaire. Tu dois surveiller, au défilé le quai jusqu’ à la fermeture automatique de ta porte. Un homme me tape sur l’épaule en me disant qu’il a quelque chose à me demander. Heureusement, sans me retourner, je lui explique que je suis en séquence sécurité et un peu sec, je lui propose d’attendre. La porte se ferme, je me retourne. A ma grande surprise, c’est M. Guillaume PEPY, mon patron, le président SNCF. Devinant, ma colère, il s’excuse. Je lui dis que oui en pleine opération de sécurité, séquence départ, c’est dommage. Il s’excuse, il m’explique, un peu penaud, qu’il a raté son TGV précédent et qu’il rentre avec moi. C’est vrai que ça ne pouvait pas attendre.
Peur à Morlaix
Paris Montparnasse Brest UM TGV A (Unité Multiple), 2 fois 237 mètres, soit longueur totale 474 mètres, train complet, 900 clients. Circule uniquement le vendredi soir. Il fait nuit. C’est l’hiver. Je suis commandé par mon roulement par la lettre : X, ce qui signifie, agent titulaire de la rame de queue. C’est à dire responsable de tout ce qui se passe sur ma rame. Le collègue de la rame de tête est commandé : A. Titulaire de tête, il est responsable du départ à l’heure, de la commande de la fermeture des portes des 2 rames et transmet le service achevé au conducteur. Arrêts intermédiaires prévus à St Brieuc, Guingamp, Morlaix. A l’arrivée à Morlaix, notre conducteur oublie l’UM et s’arrête à la pancarte TGV 1 correspondant à une seule rame. A l’arrière, coté Paris, en bout de quai, voie 1, trône le majestueux viaduc en pierres de Morlaix. Le parapet du viaduc est à la hauteur des marchepieds. Le vide 58 mètres plus bas. Au moins 6 voitures sont hors quai sur 9. Déjà, les portes d’accès s’ouvrent. Dans un réflexe inouï, la formation sécurité revient en une fraction de seconde. Je plonge littéralement sur le combiné, j’appuie sur l’alternat. J’annonce, en boucle » Attention danger, ne pas descendre, notre train n’est pas à quai, ne pas descendre, ne pas… » Quelques instants plus tard, le titulaire de tête fait la même annonce.
Dans la foulée, s’apercevant de sa méprise, le conducteur nous appelle via l’interphonie « attention, attention, rame de queue hors quai. » Immédiatement, le chef d’escale de Morlaix arrive à ma hauteur. Depuis le quai, muni de sa lampe, il balaie, le ballast entre la rame et le parapet. Visiblement personne. J’entre en contact avec mon collègue qui se met en contact avec notre conducteur. Dans ce cas-là, la procédure m’incombe de vérifier, sur les plateformes des voitures hors quai que personne ne soit descendu ou pire encore. D’après les dires des clients, c’est le cas. Je respire, nouvelle procédure de départ, fermeture des portes… Avancement du train à pas de velours. Mise à quai. Descente des clients, excuses, mine de rien, je tremble. Intense émotion. Brest au butoir 35 mn plus tard et 15 mn de retard.
C’est ainsi que se termine le témoignage d’Emmanuel sur ses 40 ans de carrière. Et c’est un plaisir de mettre ses propos en forme. Et je vais lui laisser le mot de la fin: